L’un des pionniers de la vape française raconte son passé, sans amertume, ni regret. Rencontre avec ce dinosaure de la vapeur hexagonale.
On ne pourra pas dire que le parcours de Mickaël Hammoudi est monotone. Il démarre sa vie active sans aucun diplôme en poche, même s’il en a acquis depuis. Comme la plupart des autodidactes, la liste de métiers qu’il a exercés est longue : livreur de pizzas, vendeur de jeux vidéos chez Micromania, à la Fnac et chez Score Games, employé chez Quick et McDonalds, testeur de jeux vidéos pour Wanadoo Edition puis Vivendi Games, producteur de jeux vidéos sur mobile pour Vivendi Games et Activision Blizzard… Puis, il quitte Paris pour travailler dans la force de vente chez Orange.
Parcours vape
Nouvelle année oblige, il se décide à arrêter de fumer en janvier 2008 et cherche sur la Toile une cigarette électronique. Il tombe alors sur le site de Ruyan Dragonite, leur téléphone et c’est Hon Lik lui-même qui lui répond. « Je lui ai acheté un modèle à 120 euros. Je l’ai testé, j’ai trouvé ça génial et comme on était en plein démarrage de YouTube, le 4 février 2008, je fais ma première vidéo de test produit, ça fait douze ans déjà ». Comme elle marche très fort (20 000 vues en 2 semaines) et qu’il est à l’époque webmaster, il crée le site info-ecigarette.com pour relayer des news et monétise le trafic avec de la publicité.
Débordé par le grand nombre de messages qu’il reçoit de personnes en demande de conseils, il décide de créer un forum et de l’héberger sur le site. Malheureusement, il subit une tentative de hack du forum. Le vétéran de la vape propose alors à Brice Lepoutre de récupérer la base de données pour l’installer sur forum-ecigarette.com, un domaine que Mickaël Hammoudi avait réservé et qu’il lui cède.
En 2011, il lance son activité et laisse tomber le site pour être cohérent avec ses lecteurs. Il quitte également son job de commercial chez Orange et ouvre en mai son premier magasin MCortex Distribution à Le Blanc, dans l’Indre. M pour Mickaël, Cortex étant tiré du dessin animé américain Minus and Cortex, un personnage prévenant qui a toujours foi en l’humanité.
En parallèle, il crée magasin-cigaretteelectronique.com, « un site qui marchait extrêmement bien, plus une activité grossiste pour alimenter les magasins, parce que ça poussait comme des champignons ».
Côté grossiste, lors de la troisième année, ça explosait, je ne comptais plus le chiffre d’affaires (sourire)
Développement
La boutique ne décolle pas tout de suite, « ça tournait autour de 10 000 euros de chiffre d’affaires mensuel, ce qui était correct pour l’époque dans une ville de 6 000 habitants. J’ai réussi à atteindre 18 000 euros au plus fort de l’activité et 30 000 sur la boutique en ligne ». C’est surtout l’activité de grossiste qui marchait très bien. Dans sa liste de clients, il compte Brumair, Ci-Klop, Vapotech, SMOK’air. « J’ai fourni la seconde vague de magasins après Sedensa, etc ».
À l’époque, tout le matériel proposé par MCortex Distribution est commandé auprès de Heaven Gifts en Chine, du « PayPal à fond », se rappelle Mickaël, qui assurait déjà un stock constant pour de nombreux magasins français. « Sur la première année, j’ai fait 1,8 million d’euros de chiffre d’affaires. À cette époque, j’avais 11 salariés, dont Renaud Boudemange, qui nous a malheureusement quittés depuis et que la communauté regrette encore beaucoup ».
L’une des boutiques créées par Mickaël Hammoudi à ses débuts
Dans la continuité, l’entreprise ouvre deux autres boutiques en nom propre, à Châteauroux et Argenton-sur-Creuse. Plusieurs contrats de distribution avec différents magasins existants viendront par la suite renforcer la structure basée à Le Blanc. « Au final, je suis monté à 21 magasins, en 2013. Côté grossiste, lors de la troisième année, ça explosait, je ne comptais plus le chiffre d’affaires (sourire) ».
Faillite
Comment tout ça s’est arrêté ? « À cause d’un truc dingue qui est en train d’ailleurs de se produire en ce moment », se remémore Mickaël en faisant allusion à une attaque médiatique très agressive envers la cigarette électronique. « Aujourd’hui, c’est le cas de la vitamine E dans les liquides au THC. À cette époque, il y avait la maladie du pop-corn, l’eau dans les poumons ou encore la légende urbaine de l’antigel. Fin 2013, début 2014, on a une énorme tempête qui s’abat sur le secteur ». Les médias s’emballent, les gens se détournent du produit, et là, chute violente du chiffre d’affaires. « Mon activité était à l’équilibre mais elle ne permettait plus que de payer les employés sans bénéfice. Dans le commerce, quand un marché baisse, c’est toujours celui qui approvisionne qui prend les premiers coups, et là j’étais aux premières loges. Quand on se retrouve avec quasiment 300 000 euros de stock et que plus personne n’achète, ça devient vite une catastrophe. Au bout d’un temps, ma trésorerie souffrait tellement que je ne me payais même plus, j’ai donc décidé de tout arrêter à ce moment-là ».
Heureusement pour ce précurseur de la vape en France, il a la chance d’être soutenu par d’autres sociétés bien ancrées dans le marché, Fuu et Alfaliquid, et puis aussi par la banque auprès de laquelle il avait emprunté, et qui était d’accord pour l’aider davantage. L’aventure aurait pu donc se poursuivre, mais l’entrepreneur se lasse de passer plus de temps derrière un bureau qu’auprès de la clientèle et des produits. « Je me suis trop éloigné de la chose fondamentale sur ce sujet, à savoir aider les gens à arrêter de fumer ».
Mickaël Hammoudi voit aussi une autre explication à cette chute. Il avait monté le CACE [ndlr : Collectif des acteurs de la cigarette électronique, renommé Fivape depuis] et c’est selon lui l’une des raisons possibles de cet éloignement de terrain. « Je passais énormément de temps à m’occuper des affaires du collectif et je me suis éloigné de mon activité entrepreneuriale, qui en a souffert. J’aurais dû me concentrer sur mon entreprise plutôt que de lutter pour la vape. Mais je me suis laissé emporter ».
J’ai mis un an pour me reconstruire psychologiquement
Enseignement
Est-ce qu’il ferait les choses différemment si on le replongeait au début de la grande période vape ? « Non, absolument pas. C’était une aventure humaine géniale. J’ai appris plein de choses, c’est ce qui me permet d’être complet aujourd’hui. J’aurais pu finir milliardaire, peut-être, c’est vrai, mais c’est une aventure géniale et je n’en tire aucun goût d’amertume, même si j’ai beaucoup souffert à cette période. J’ai fait un énorme burnout. Au tribunal de commerce, quand j’ai présenté les comptes pour la liquidation, j’avais 7 ou 8 personnes autour de moi qui étaient là pour m’entendre. À la fin de l’audience, elles m’ont applaudi pour la sauvegarde des salariés. En sortant de là, je me suis mis à pleurer. J’avais une vraie sensation d’échec. J’ai mis un an pour me reconstruire psychologiquement ».
La leçon qu’il tire de cette histoire ? C’est une leçon entrepreneuriale : selon lui, il n’aurait pas dû essayer de grossir aussi vite. « Il ne faut pas être trop gourmand et savoir se contenter de ce que l’on a, et bien vivre avec. J’étais jeune, 31 ans, l’argent facile, je pense que n’importe qui aurait pu ‘’vriller’ aussi à cet âge-là. Mais j’ai su conserver un rythme de vie modeste, je n’ai jamais acheté de grosse voiture, ni dépensé de l’argent à outrance. À ce niveau-là, j’ai su rester calme, mon activité m’a permis d’acquérir une maison et c’est déjà beaucoup ».
On n’est jamais perdant dans la vie, on apprend
Quand on lui dit qu’il aurait pu être milliardaire aujourd’hui, il répond qu’il est riche de ses enseignements. « Ma richesse, c’est d’avoir pu réussir à aider des milliers de gens à arrêter de fumer. Aujourd’hui, grâce à cette expérience de terrain, j’ai la chance de pouvoir suivre un DU de tabacologie, un DU d’addictologie, je peux passer une certification Patient Expert, je peux rentrer dans le domaine médical alors que je n’ai jamais fait de médical auparavant. On n’est jamais perdant dans la vie, on apprend ».
Face au succès de sociétés comme Le Petit Vapoteur ou encore Gaïatrend, il n’a aucune amertume, bien au contraire. Content de voir leur réussite, il confie que « leur succès traduit une demande du consommateur, donc des gens qui arrêtent de fumer, et ça, j’en suis très heureux ».
Capture d’écran des débuts du site info-ecigarette
Depuis cette pénible chute, il publie à nouveau quelques vidéos sur sa chaîne YouTube dans le cadre de son bénévolat pour le groupe Je ne fume plus sur Facebook, « simplement parce que des internautes demandaient des conseils simples et accessibles. Je me suis par exemple concentré sur le Zénith d’Innokin, mais ce n’était pas dans le but de relancer cette chaîne ou d’attirer plus de visibilité sur ma personne, ça n’avait rien à voir avec ça, c’était tout simplement pour aider les gens ».
Est-ce que le terme MCortex signifie toujours quelque chose ? « Ce n’est pas un alter ego, je suis toujours la même personne. J’ai beaucoup d’humilité avec mon histoire, j’essaie de moins en parler dans ma vie professionnelle de tous les jours (sauf bien sûr aujourd’hui, mais c’est à votre demande que je réponds à vos questions). Je n’ai franchement rien à prouver, ni à me justifier de quoi que ce soit ».
Certes, ce passé lui a permis de construire un joli carnet d’adresses, mais il estime que son réseau aujourd’hui serait bien difficile à exploiter pour un fabricant d’e-liquide, par exemple, tant le marché souffre des attaques médiatiques répétées. C’est pourquoi il se consacre pleinement dorénavant aux formations qu’il mène avec le tabacologue Jacques Le Houezec.
Après 12 ans de vape, le sujet le passionne toujours, motivé par cette envie insatiable d’aider les gens à arrêter de fumer. « C’est horrible, ce que je vais dire, mais des fumeurs, il y en aura toujours, malheureusement, et des morts du tabac, tant qu’on sera vivant, il y en aura toujours. On ne connaîtra pas cette génération sans fumée, donc quoi qu’il arrive, je ne peux pas être lassé du sujet puisqu’il reste mon sacerdoce, si je puis dire ».
Actuellement
Aujourd’hui, Mickaël Hammoudi est consultant pour différentes sociétés, et travaille à des lancements de marques par exemple, mais ce n’est pas sa principale activité. « Aujourd’hui, c’est la certification CIMVAPE, ainsi que mon objectif de certification Patient Expert, qui m’animent le plus. J’arrive à en vivre et j’en suis très content. Cette certification a valeur de diplôme officiel attestant des connaissances et compétences des métiers de la vape. C’est plus dans ce sens là qu’il faut l’utiliser ».
Quand je vois une communauté vape, je vois des ayatollahs et ça, c’est un vrai problème
Le marché
Concernant l’état du marché français, Michael Hammoudi estime qu’il est devenu très agressif. « Tout le monde tire partout, et tente de sortir son épingle du jeu, c’est la course au chiffre d’affaires avec très peu de produits nicotinés, mais espérons que cela va changer avec l’annulation de la taxe de l’Anses sur les notifications. Aujourd’hui, tel qu’est devenu le marché, je ne pense pas que ce soit la meilleure atmosphère qui soit pour aider les gens à arrêter de fumer ».
La communauté de la vape
Le fondateur du premier forum sur la vape estime que la communauté s’est malheureusement réduite au seul business, mais qu’elle existe encore. En revanche, il la retrouve plus dans l’arrêt du tabac, où l’on ne parle pas que de vape, mais de l’arrêt au sens large avec différents outils et méthodes. « On parle de Chantix, de patchs, … on n’est pas sectaire. Quand on comprend qu’arrêter de fumer ça fait mal et que c’est très pénible, on arrête d’être jusqu’au-boutiste et d’être un ayatollah de la vape. Quand je vois une communauté vape, je vois des ayatollahs et ça, c’est un vrai problème. Il y a un manque de compréhension sur ces difficultés pour arrêter de fumer. Il y a des gens qui n’y arrivent pas juste avec l’e-cig, même avec 60 mg/ml, parce qu’ils ont besoin d’autre chose, et c’est comme ça ».
Capture d’écran de l’une des premières vidéos réalisées par Mickaël Hammoudi destinée à aider la communauté de la vape en France
Mickaël regrette que cette communauté de consommateurs, très active dans les premières années, se soit finalement diluée dans de nombreux groupes Facebook. « Chacun fait sa tambouille dans son coin et plus personne ne communique de manière entière. Heureusement, le forum Ecigarette subsiste encore mais on est en dehors des réseaux sociaux, cela ne fonctionne pas du tout de la même façon ».
En revanche, il estime que l’aspect communautaire est finalement plus identifiable du côté des professionnels. « Il faut se rappeler que ce sont des consommateurs qui en ont fait leur métier, et c’est d’ailleurs toute la réalité de la France. La plupart des gens qui ont monté des entreprises de vape en France étaient auparavant sur des forums. Si aujourd’hui, la communauté des consommateurs devait se mobiliser, disons par exemple autour d’une menace de restriction des liquides non nicotinés au format 10 ml, je pense que cela se résumerait à une guerre entre la chaise et le clavier. Et c’est malheureusement bien trop souvent comme ça de nos jours ».
Je vois les cigarettiers comme des marionnettistes
L’industrie du tabac
Il ne sous-estime pas les cigarettiers. Bien au contraire, il voit en eux une industrie très intelligente. « Ils ont passé du temps à laisser le milieu professionnel de la vape se chamailler. Et c’est au moment où ça va le plus mal qu’ils sont le plus présents. Ils ont comme d’habitude des moyens de pression et de lobbying très avancés. Je vois les cigarettiers comme des marionnettistes, en arrière-plan, à tirer les ficelles. Toutes les théories qui disent que le tabac va racheter telle ou telle boîte, c’est du grand n’importe quoi. Ils sont déjà très bien implantés aujourd’hui ».
La vape indépendante
Contrairement à d’autres pays, de nombreux acteurs revendiquent une vape indépendante en France. Mickaël Hammoudi la juge complexe. « Elle peut être respectée à la condition classique de ne pas vendre ou produire des consommables provenant de l’industrie du tabac. Dans la réalité, 90 % du marché s’en moque complètement, la vape indépendante c’est une toute petite zone du marché qui a envie de se battre contre ça. Il faut néanmoins continuer de se mobiliser et conserver ces valeurs d’indépendance qui ont beaucoup de sens à mes yeux ».
Les buralistes
Il le dit souvent, il n’a rien contre les buralistes, mais il ne voit pas la vape chez eux. Pas pour une question de monopole ou cette position de percepteurs d’impôts pour l’État, d’ailleurs, il ne fait pas la différence dans ce débat entre fabricants de tabac et distributeurs. « Pour moi, ils vendent de la mort tous les deux. La raison pour laquelle je m’oppose à la vape dans un bureau de tabac, c’est qu’un fumeur qui rentre chez un buraliste pour acheter un setup, c’est très bien, mais quand on essaie d’arrêter de fumer et que l’on revient régulièrement s’approvisionner dans un bureau de tabac, on peut très vite être tenté d’acheter des cigarettes, qui seront toujours en face de soi dans ce type de commerce. Le problème fondamental, il est là ».
Les vape shops
Les boutiques ont beaucoup de sens à ses yeux. Il ne voit pas en eux des “commerces à addiction”. « Dans un bureau de tabac, on peut retrouver du vin, des clopes, des jeux d’argent, de la charcuterie et même du poppers chez certains ! Quelqu’un qui veut arrêter de fumer, il faut l’emmener dans un environnement sain. Une boutique spécialisée correspond nettement plus à ce besoin, tout comme une pharmacie pour s’acheter des patchs ou des gommes : elles représentent un environnement sain qui ne met pas le fumeur en face de sa tentation ».
Mickaël Hammoudi, février 2020 – © Ghyslain Armand
Que faire aujourd’hui pour faire avancer la vape ?
Michael Hammoudi estime qu’il faudrait proposer des modifications de lois. « Il y a des sujets ultra-importants, comme la limitation des 20 mg/ml et la limitation des contenants. Si demain, nous arrivons à faire du 50 ml à 20 mg/ml, au niveau des prix et des échelles de marge, tout le monde sera heureux, et si on arrive enfin à faire monter le taux de nicotine à 40 mg/ml, on aidera beaucoup plus de personnes. Si les professionnels et les consommateurs devaient se mobiliser sur un sujet, ce serait peut-être celui-là ».
Les médias
Il est d’accord avec Rémi Baert de Kumulus Vape, qui avait expliqué au Vapexpo que les médias relaient des dépêches AFP simplement parce qu’ils les jugent fiables sans y appliquer un esprit critique. « On aura beau aller lutter contre des médias, ça ne changera pas grand-chose. Cette lutte, il faut la continuer, mais au lieu d’aller taper en bas, il faut se concentrer sur un niveau bien supérieur, dans les sphères politiques et réglementaires ».