Alors que des normes internationales (ISO) sont en cours d’élaboration pour encadrer les produits du vapotage, une équipe de chercheurs américains de l’université de Caroline du Nord (UNC) a publié ses travaux fin mars 2018 dans la revue PlosOne Biology au travers d’un article intitulé “Evaluation of e-liquid toxicity using an open-source high-throughput screening assay”. Cette publication est accompagnée de la mise en ligne d’une base de données non-exhaustive sur la toxicité de plus de 300 e-liquides disponibles sur le marché, américain essentiellement. Cette base de données est accessible sur www.eliquidinfo.org.
Décryptage du LFEL
L’objectif des chercheurs américains était de mettre au point un criblage à haut débit, permettant de tester différents e-liquides en un minimum de temps, afin d’en déterminer la toxicité. Dans ce but, ils ont procédé à des tests en mettant en contact différents e-liquides avec des cellules humaines (figure 1).
Des conditions irréalistes d’évaluation de la cytotoxicité du PG/VG
À l’aide d’une pipette, les chercheurs ont versé de l’e-liquide directement sur des cellules puis ont mesuré leur viabilité après 24 heures, c’est-à-dire le pourcentage de cellules vivantes. L’objectif était de déterminer ce que l’on appelle la concentration létale 50 (LC50), c’est-à-dire la dose nécessaire pour tuer 50 % de la population. Plus la LC50 est faible, plus l’e-liquide est toxique.
Des paramètres essentiels ne sont pas pris en considération
Lorsqu’un liquide est mis en contact avec des cellules, un paramètre est fondamental : l’osmolarité. De manière simplifiée, on peut dire que la cellule a recours à l’osmolarité pour conserver un équilibre aqueux. En fonction de ses besoins, elle est capable de transférer ou d’absorber une certaine quantité d’eau, au travers d’une membrane semi-perméable, pour maintenir cet équilibre. Pour réduire l’osmolarité, elle ajoute de l’eau, et inversement quand l’osmolarité est trop basse, de l’eau est expulsée. Dans la pratique, si l’osmolarité d’une cellule est trop élevée, l’eau va rentrer dans la cellule, et la faire gonfler jusqu’à l’éclater. À l’inverse, si l’osmolarité de celle-ci est trop basse, de l’eau va sortir de cette cellule, qui va se flétrir et mourir de déshydratation. L’ajout d’un agent extérieur (comme un e-liquide), va perturber l’osmolarité de la cellule qui va devoir expulser ou introduire de l’eau pour retrouver son équilibre (Figure 2).
Dans la publication, les chercheurs américains mettent en contact des e-liquides avec des cellules sans tenir compte de ce phénomène. Ils ne peuvent donc pas être assurés que la composition de l’e-liquide est bien responsable de la mortalité qu’ils observent. On peut citer, comme exemple flagrant, les tests réalisés par l’ajout de PG/VG sur la cellule. D’après l’étude, de faibles concentrations de PG/VG ont une influence sur la croissance des cellules et entraînent une forte mortalité. Or, la communauté scientifique soutient le contraire : seule une éventuelle irritation due au PG est reportée (INRS[2] ; Cotta 2017[3]).
Un choix de cellules de test discutable
Le choix du modèle cellulaire est primordial dans une étude toxicologique (voir encadré). Dans ce cas précis, les auteurs ont choisi d’utiliser des cellules rénales embryonnaires car elles sont économiques et faciles à manipuler. Même si ces raisons sont compréhensibles, ce type de cellules ne permet pas d’étudier le véritable impact du vapotage sur la santé des usagers. Dans la réalité, les reins ne sont jamais en contact direct avec de l’e-liquide.
Les chercheurs ont néanmoins comparé leurs résultats avec d’autres types de cellules : des cellules cardiaques et d’autres, issues d’une tumeur pulmonaire. Les LC50 observées sont alors très dépendantes du type cellulaire car la toxicité sur les cellules pulmonaires est moins élevée que sur les cellules rénales ou cardiaques. Malgré tout, leur base de données reprend les résultats obtenus à partir des cellules rénales.
Pas de lien sérieux démontré entre la toxicité du liquide et celle de l’aérosol
Dr Hélène Lalo, LFEL
Pas de corrélation entre la toxicité du liquide et celle de l’aérosol
Dans une deuxième série d’expériences, les auteurs ont vaporisé différents e-liquides sur des cellules. Les aérosols ont été générés à 100 W pendant 4 secondes avec une résistance de 0,25 ohm. Bien qu’extrême, cette exposition se rapproche de la réalité du vapotage actuel, pour une partie des usagers.
Ils ont ensuite observé la viabilité des cellules exposées à la vapeur par rapport à la LC50 obtenue précédemment, pour savoir si la mise en contact directe de l’e-liquide pouvait être comparable à celle obtenue avec un vaporisateur. Ces résultats ne démontrent aucun lien sérieux entre la toxicité du liquide et celle de l’aérosol. Les auteurs admettent d’ailleurs que la toxicité est moins importante avec cette méthode. Pourtant, leur base de données reprend les résultats obtenus à partir de la mise en contact de l’e-liquide directement sur les cellules.
Une base de données publique controversée
Le dernier point important de cette publication se trouve dans les figures 2 et 3, lorsque deux LC50 différentes apparaissent pour un même e-liquide. Par exemple, la référence commerciale Banana Pudding a une LC50 qui peut varier du simple au double (Figure 2, lignes 1 et 4). Pour d’autres, elle peut même être multipliée par 10, comme pour le Vanilla Bean (figure 3). Hormis une différence de numéro de lot, les auteurs n’expliquent malheureusement pas cet écart.
LC50 de l’e-liquide Vanilla Bean de NJOY à 10 mg/mL de nicotine. Pour un même liquide, la LC50 peut être différente (http://eliquidinfo.org).
Si cette étude américaine met en évidence la potentielle toxicité de certains arômes contenus dans les e-liquides, l’utilisation brute de ces données, sorties de leur contexte, peut également entraîner une mauvaise interprétation des résultats. Ce fut malheureusement le cas lors de sa publication en mars dernier, quand certaines informations sorties de leur contexte ont fait la Une d’articles à sensation annonçant l’importante toxicité de certains e-liquides. C’est pourquoi, selon le LFEL, il faut mesurer systématiquement les conséquences de la publication de ce type de recherches et surtout préciser en amont et dans leur globalité les protocoles ainsi que les limites des conditions de réalisation de ces études.
L’article a mis en exergue l’importante toxicité de certaines molécules aromatiques et il est en effet reconnu qu’une forte concentration de certains éléments comme la vanilline et le cinnamaldéhyde peut avoir un effet sur la santé des poumons. La majorité des fabricants d’e-liquides en est consciente et limite l’utilisation de ces composés aromatiques. Il est évident que des recherches approfondies doivent être menées sur ce sujet. Mais la méthode de criblage appliquée ici entraîne de trop nombreuses limites reconnues par les auteurs eux-mêmes :
- il n’y a pas de corrélation entre la toxicité du liquide et celle de l’aérosol ;
- les LC50 fournies ne sont pas représentatives des conditions réelles de vapotage. Aussi, la divulgation des noms des sociétés produisant les liquides avec une LC50 erronée ne paraît pertinente ni pour les producteurs d’e-liquides, ni pour les consommateurs. Il convient donc de s’interroger sur les véritables motifs de publication de ce type de données controversées.
Dans le but de réaliser une étude toxicologique dans des conditions réalistes, le LFEL a récemment ouvert une section biologie au sein du pôle R&D. Grâce à son robot vapoteur U-SAV, qui permet de générer des émissions de manière totalement contrôlée, des cellules choisies avec soin et un protocole réaliste, le laboratoire espère mener prochainement une étude toxicologique dans des conditions au plus proche de la réalité.
L’objectif est d’étudier l’impact de la cigarette électronique sur la santé, en fonction des types d’e-liquides inhalés et du comportement des vapoteurs.
L’article :
Base de données : http://eliquidinfo.org
La diversité des cellules pulmonaires
Le tissu épithélial pulmonaire regroupe des cellules de différents types (caliciformes, cellules ciliées, etc.), directement en contact avec l’air ou la vapeur inspirée. Les cellules communiquent et peuvent agir ensemble lorsque le tissu est endommagé. Par exemple, les cellules caliciformes produisent du mucus qui piège les particules inhalées. Ensuite, ce mucus est évacué grâce, entre autres, au battement des cellules ciliées. Dans le cas des études utilisant un seul type cellulaire, un biais important est apporté par l’absence de cette communication et des moyens de défense présents dans les tissus (pas de production de mucus par exemple). De plus, une grande partie des études sont réalisées à partir de cellules issues de donneurs malades (le plus souvent un cancer). Celles-ci peuvent produire des réponses métaboliques différentes d’une cellule saine. À titre d’exemple, elles peuvent avoir tendance à être plus sensibles ou produire plus de molécules pro-inflammatoires.
Ces lacunes dans les protocoles ont permis le développement de modèle cellulaire reconstituant un tissu sain. Ces modèles d’un genre nouveau sont encore trop peu utilisés aujourd’hui mais représentent une alternative très intéressante à l’expérimentation animale.
Parallèlement, il est primordial de mesurer la quantité de vapeur mise en contact avec les cellules pour étudier l’impact du vapotage sur la santé. En effet, le tissu pulmonaire représente une surface totale équivalente à 100 m². Il est donc étonnant que des cellules de seulement quelques mm² reçoivent le même volume de vapeur qu’un organe entier, comme c’est le cas dans des conditions normales d’utilisation.
[1] Bishop, E., Toxicology in Vitro (2018), https://doi.org/10.1016/j.tiv.2018.01.010
[2] INRS : Institut National de Recherche et de Sécurité
[3] Cotta K. I., Stephen C. D., Mohammad N. U. “A Review on the Safety of Inhalation of Propylene Glycol in E-cigarettes”. Glob J Pharmaceu Sci 2(2) : 555584 (2017).DOI: 10.19080/GJPPS.2017.02.555584