Qui aurait pu se douter au mois de juillet que la diffusion du rapport de l’OMS, dont 4 pages demandent aux gouvernements des États membres de classer la cigarette électronique en tant que produit nocif, n’était que l’apéritif au goût amer d’une déferlante médiatique capable de déstabiliser durablement la filière de la vape en France ? Pas grand monde, à moins d’être devin.
Petit retour en arrière pour bien comprendre le processus de cette campagne de désinformation. Début août, des médias mineurs ont commencé a rapporter qu’une maladie pulmonaire sévère touchait des vapoteurs. Quelques jours plus tard, l’info est reprise par des médias nationaux. Mais la “bombe” éclate réellement le 24 août quand un premier décès est annoncé.
Il faut se souvenir que, dès cette date, les Centres de contrôle et de prévention des maladies (CDC) précisaient que “la cause des maladies n’a pas été découverte, mais (que) tous les malades avaient récemment utilisé des cigarettes électroniques pour inhaler de la nicotine et souvent du cannabis”. Pourtant, certains médias n’y vont pas avec le dos de la cuillère et des titres dévastateurs du type “Cigarette électronique : un mort” ou “La cigarette électronique devrait-elle être interdite ?” sont apparus dans les médias puis repris sur les réseaux sociaux. Pourtant, ces journalistes connaissent souvent la totalité de l’information mais ne citent la présence d’huile de THC et d’acétate de vitamine E qu’en fin d’article. Il faut bien vendre du papier ou du clic.
Des déclarations comme “La gravité de la maladie dont souffrent les gens est alarmante. Il faut que tout le monde sache que les cigarettes électroniques et le vapotage peuvent être dangereux” de la directrice du département de la santé de l’Illinois, Ngozi Ezike, ont malheureusement trouvé plus d’échos en France que celles qui temporisaient comme “Le lien avec le vapotage n’est pas encore prouvé” d’Ileana Arias, responsable des maladies infectieuses aux CDC fédéraux (Lepoint.fr du 24 août 2019).
Septembre noir
Dans les boutiques, c’est à la rentrée que le contrecoup s’est fait sentir. Gérants et vendeurs ont dû faire face à une baisse conséquente de leurs chiffres d’affaires, à de nombreuses questions venant même de vapoteurs de longue date et même parfois à des réactions violentes.
“Nous avons demandé aux adhérents de faire remonter des témoignages. Certains donnent envie de pleurer. Des vitrines ont été cassées avec des cigarettes électroniques, un adhérent s’est fait exclure de sa galerie marchande. Son bail a été dénoncé en une semaine simplement parce que le conseil d’administration de la galerie marchande a eu peur”, déplore Jean Moiroud, président de la Fivape.
De – 15 à – 30 % de chiffre d’affaires
Selon notre enquête, la baisse du chiffre d’affaires est évaluée de 15 à 30 % pour le mois de septembre, selon les enseignes. La baisse touche clairement les rayonnages du matériel dédié aux primovapoteurs. Les fumeurs qui pensaient passer à l’e-cig à la rentrée ont été refroidis par le cyclone médiatique et ont malheureusement remis leurs bonnes résolutions à plus tard. Dans ce créneau, la baisse du chiffre d’affaires se situe aux alentours de 50 %. Une catastrophe économique et surtout sanitaire. Les vapofumeurs ont été également sensibles aux gros titres alarmistes et certains n’ont plus confiance dans la vape.
“Nous avons su contenir les inquiétudes des vapoteurs en boutique”, Aurélien Taglione, fondateur associé de Vapostore
“Nous avons eu une petite baisse de chiffre d’affaires de l’ordre de 10 à 15 % sur le mois de septembre. Depuis début octobre, c’est reparti quasiment à la normale. Nous avons su contenir les inquiétudes des vapoteurs en boutique avec des explications et aussi grâce à la communication des professionnels de santé, qui ont rassuré l’opinion en expliquant qu’en France il y a des normes, que nos e-liquides sont sécurisés. Ça a rassuré les gens. Nous avons communiqué en interne par le biais de newsletters, via les animateurs réseaux et sur les réseaux sociaux, sur les points à éclaircir avec les clients. Les clients vapoteurs sont déjà convaincus, nous n’avons pas eu de souci avec eux. Mais nous avons eu moins de clients primo accédants sur cette période et également moins de vapofumeurs, qui sont retournés à la cigarette. Cette clientèle va sûrement revenir dans les mois à venir. Au niveau des produits, la vente d’e-liquides s’est maintenue. La baisse a surtout impacté l’équipement et le panier moyen.”
Cette baisse de confiance a d’autres conséquences. “Nous avons alerté Santé Publique France de cette situation en leur disant qu’à l’approche du Mois Sans Tabac, le bilan n’allait sûrement pas être le même que celui de l’année dernière et qu’ils ont, eux, un pouvoir, c’est celui de faire évoluer les messages qui concernent la vape dans le dispositif afin de les mettre en résonance avec l’actualité et le besoin de réassurance”, explique Jean Moiroud.
“Il ne faut pas que la situation dure trop longtemps”, Oswald Cros, responsable secteur Cigaverte
“Nous observons une baisse des ventes de 20 à 25 %. C’est compliqué, beaucoup de gens se posent des questions. S’ils se contentaient de se poser des questions, nous n’observerions pas de baisse car nous avons les moyens de répondre, d’expliquer, mais il y a des gens qui se sont détournés de la cigarette électronique. Il y a des primos ne viennent pas, des clients qui se sont fait influencer par leur entourage. Certains nous disent, comme il y a quelques années, ‘au moins avec la cigarette, je sais de quoi je vais mourir.’ Nous essayons de communiquer au maximum, notamment sur les réseaux sociaux. Mais comme on dit, la calomnie est irréparable et aujourd’hui nous en faisons les frais. Les clients perdus reviendront sûrement doucement, mais il ne faut pas que la situation dure trop longtemps parce que ce n’est pas bon pour le secteur, ni pour la santé des gens.”
Ne pas tomber dans la théorie du complot
Heureusement, les messages rassurants vantant la qualité de la structure réglementaire des produits de la vape en France par des personnalités médiatiques comme le professeur Dautzenberg, Roger Genet, directeur général de l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) ou de la ministre de la Santé Agnès Buzyn ont rassuré une partie de l’opinion. Mais la partie n’est pas gagnée. “Malgré le sensationnalisme des titres, nous avons eu un grand nombre d’articles de fond, se rassure Jean Moiroud. En contrepartie, nous vivons un yo-yo émotionnel avec l’AFP qui alimente systématiquement la polémique en comptant les morts. Et il y en aura d’autres, des morts.”
Pour l’ensemble de la filière, il est important de ne pas tomber dans la théorie du complot. En revanche, selon Jean Moiroud, “il y a des univers qui sont antivape : l’OMS, l’industrie de la pharmacie, l’industrie du tabac. Depuis la publication du rapport de l’OMS, ils profitent de l’actualité pour alimenter la bête. C’est comme si une brèche s’était ouverte, et que toutes les énergies antivape s’étaient engouffrées dedans. Tout d’abord l’OMS, qui a témoigné d’un certain mépris pour la réduction des risques. Trop peu d’empathie pour les fumeurs – en souffrance – dans sa vision du monde, et une grande méfiance vis-à-vis d’une innovation qui échappe à l’industrie pharmaceutique. Ensuite, le CDC et la FDA, et plus largement de gros intérêts industriels aux USA. Cet amalgame indigne entre notre vape ‘sevrage’ – historique, efficace et installée – et des produits frelatés connexes à la consommation récréative de THC, a été orchestré depuis les USA. L’industrie du cannabis est puissante outre-Atlantique et soutenue par le monde de la finance et des multinationales (Coca-Cola, Inbev). Les investissements sont énormes. La vape, elle, n’a jamais été ‘soutenue’ par Wall Street. Ces derniers ont tout à gagner à faire de la vape un bouc émissaire idéal pour détourner l’attention des dérives d’une légalisation du cannabis à géométrie variable selon les États.”
Des raisons d’espérer ?
Oui, évidemment il y en a. Premièrement, la vape a fait ses preuves en tant qu’outil efficace de sevrage tabagique et a su faire face à d’autres péripéties et campagnes de désinformation massive. De plus, le calendrier est favorable à l’industrie de la vape. Elle doit ne pas manquer le rendez-vous de trois échéances inscrites au calendrier : le Mois Sans Tabac (ce mois-ci), les augmentations du prix du paquet de cigarettes (+ 50 centimes ce mois-ci et + 40 centimes en avril 2020) et l’arrêt des cigarettes mentholées (avril 2020). “Si en mars-avril, la filière est toujours debout, légitime, et respectée, nous aurons vécu une de nos plus grandes épreuves”, estime Jean Moiroud.
Mise à jour : l’acétate de vitamine E est enfin reconnu par le CDC comme potentiellement responsable des maladies pulmonaires. Source Vaping Post.