Vous êtes-vous déjà demandé si l’un des législateurs qui légifèrent l’usage de la cigarette électronique a pris le temps de comprendre le produit qu’il réglemente ? Si les organismes de réglementation ont déjà compris la culture entourant la vape ?
Soyons honnête, la réponse à ces deux questions est probablement “non”. La probabilité que Ned Sharpless, commissaire intérimaire de la FDA, fasse une allocution publique sur le DIY ou les mods non réglementés est minime. Les législateurs, comme le leader de la majorité au Sénat américain, Mitch McConnell, ne communiquent pas avec les fabricants des saveurs les plus populaires de l’industrie.
Pas de discussion avec les acteurs de la vape
Vous ne verrez pas les politiciens qui prétendent défendre la santé publique prendre le temps de comprendre, non seulement les innombrables produits créés par l’industrie de la vape, mais aussi les gens qui les fabriquent et les consomment chaque jour.
La vape est une sous-culture. Et au sein de cette sous-culture, d’autres sous-groupes et microcultures constituent la base de consommateurs de cette industrie. Compte tenu de cela, je soutiens que l’une des principales raisons pour lesquelles les tendances réglementaires persistent est due à cette mauvaise compréhension de l’industrie de la vape.
Comprendre une sous-culture de la consommation
En 1995, des chercheurs ont publié dans le Journal of Consumer Research une définition de la façon dont les sous-cultures s’articulent autour d’un produit de consommation spécifique.
“En admettant que les activités de consommation (…) peuvent servir de base à l’interaction entre les consommateurs et à la cohésion sociale, le concept de sous-culture de la consommation résout de nombreux problèmes inhérents à l’utilisation des catégories sociales attribuées comme dispositifs pour comprendre le comportement des consommateurs”, conclut cette étude. À partir du développement d’une communauté qui partage une identité collective autour d’intérêts communs, c’est toute une sous-culture qui émerge.
Puisque le vapotage est un phénomène social de consommation et de santé publique que beaucoup n’ont pas encore pleinement compris, il est parfaitement logique que cette classification soit appliquée. En effet, les vapoteurs s’associent à d’autres vapoteurs. Les propriétaires de magasins et les fabricants utilisent des business models qui leur sont propres en prenant en compte l’image des marques, les types de produits vendus ainsi que d’autres caractéristiques.
En tant que sous-culture, la communauté de la vape est caractéristique d’un sous-groupe sociétal dont les membres partagent une identité collective, un vocabulaire (le jargon technique, par exemple) et des intérêts. L’analyse de ce phénomène révèle l’existence de structures sociales, de valeurs communes dominantes et de comportements symboliques propres à la consommation de cigarettes électroniques. En fin de compte, on a affaire à une relation étroite entre la sous-culture et ses sous-groupes constitutifs et la culture dominante d’un grand groupe ou de la société entière.
Les personnes étrangères à la vape doivent prendre le temps de comprendre le fonctionnement de cette sous-culture. Étant donné que la vape s’articule autour de catégories de produits et de tendances de consommation, elles doivent aussi comprendre son fonctionnement : comment ces produits sont fabriqués, comment ils sont vendus, qui les commercialise et comment ils se différencient entre eux.
Les législateurs et les organismes qui réglementent les e-cigarettes devraient donc s’informer sur toutes les questions liées à cette sous-culture et ses produits. La Food and Drug Administration (FDA) tente de comprendre les diverses offres de produits de l’industrie de la vape, mais elle ne se concentre manifestement pas sur les caractéristiques démographiques des cibles de ces produits. Les organismes de réglementation ne se demandent pas pourquoi les consommateurs aiment les cigarettes électroniques, ni même pourquoi tant de gens croient en l’industrie comme vecteur de changement positif sur leur santé.
La vape diabolisée
Pour certains, utiliser une cigarette électronique est encore un “péché”, et les gens qui achètent, vendent, annoncent, fabriquent ces produits sont des “pécheurs” pour de nombreux législateurs de par le monde. Cela rappelle la théorie de la panique morale qui a été élaborée par le criminologue sud-africain Stanley Cohen pour expliquer pourquoi les protestations de la population suscitées par l’hystérie politique et médiatique entraînent des changements dans les politiques publiques. Cohen décrit une panique morale comme “une condition, un épisode, une personne ou un groupe de personnes [qui] se définit comme une menace pour les valeurs et les intérêts de la société”.
Les paniques morales se développent dans une série de progressions qui stigmatise généralement un groupe social ou une sous-culture particulière comme la “raison” du bouleversement civil, du tollé et de la peur générale entourant une prétendue rupture des traditions morales de la société.
En appliquant le phénomène de panique morale à la cigarette électronique et à la vape, on constate que la cigarette électronique sont pointés du doigt. Par conséquent, l’utilisation d’une e-cigarette est un “péché”, et les personnes qui achètent, vendent, annoncent, fabriquent ces produits sont mis à l’index aux yeux de la majorité.
Partant de ce constat, les législateurs et les régulateurs sont susceptibles d’aborder le traitement de ces produits et les débats de politique publique associés avec des a priori. Par exemple, un législateur influencé par la panique morale de la cigarette électronique et qui ne s’informe qu’avec des données et des recherches fournies par les militants de la lutte antitabac et antivape aura une vision biaisée et partisane de ces produits. La compréhension de cette sous-culture et de son industrie est finalement considérée comme une exigence secondaire, tertiaire ou même facultative lorsqu’on propose une réglementation.
L’épidémie de vapotage chez les jeunes
Quand l’ex-commissaire de la FDA, Scott Gottlieb, a proclamé l’épidémie de vapotage chez les jeunes, il se basait sur les résultats des enquêtes nationales qui concluaient à une augmentation de la consommation de cigarettes électroniques et d’e-liquides nicotinés chez les jeunes. Les pics de données sont notables, mais l’“épidémie chez les jeunes” est principalement fondée sur des pics d’utilisation expérimentale qui ne montrent clairement aucune indication d’utilisation quotidienne récurrente, avec une très faible prévalence parmi les populations d’âge scolaire secondaire et moyen.
Brad Rodu, un chercheur réputé dans le domaine de la réduction des risques du tabac du James Graham Brown Cancer Center de l’Université de Louisville, l’a confirmé. Il a constaté que seuls 0,6 % des élèves de l’enseignement secondaire sont des vapoteurs quotidiens qui présentent des symptômes possibles de dépendance à la nicotine. Aux États-Unis, le chiffre de 3,3 millions de jeunes qui vapent régulièrement est souvent repris et les médias, les régulateurs et les législateurs estiment que cette population est dépendante à cause de l’accessibilité aisée des systèmes à pods et des saveurs fruitées et gourmandes. Cependant, Rodu souligne que les données des enquêtes du gouvernement fédéral ne montrent clairement aucun cas endémique d’utilisation de cigarettes électroniques.
En raison de ce chiffre annoncé de 3,3 millions de personnes et des déclarations alarmantes de la FDA, les médias s’accrochent alors à tous les petits détails qu’ils peuvent trouver. Par exemple, en signalant des cas isolés de jeunes vapoteurs qui vont en cure de désintoxication ou des faits divers, comme le démantèlement de deal d’e-liquides dans les couloirs de lycées américains.
Panique morale
Voilà un cas d’école de panique morale. Du fait de la peur, la population qui a succombé à la panique morale (les parents, par exemple) va demander aux autorités locales, étatiques et fédérales de légiférer. Ces personnes vont utiliser les arguments de défense de la lutte antitabac existants pour communiquer ce message. Des organisations comme Truth Initiative ou Campaign for Tobacco-Free Kids choisissent alors d’encourager l’action politique et législative au nom de la population, des donateurs et d’autres intérêts gouvernementaux et commerciaux. Les législateurs seront alors enclins à pointer du doigt l’industrie en arguant que les e-cigarettes sont commercialisées auprès des enfants.
En se basant entièrement sur ce scénario de panique morale, les produits et la culture qui les entoure sont alors scrutés à la loupe.
Les cigarettes électroniques et les produits de la vape contiennent de la nicotine, une drogue psychoactive qui crée une forte dépendance pour certains. Ces produits ont été mis au point pour administrer de la nicotine de façon plus propre et plus sûre que les cigarettes combustibles. Bien qu’elle soit devenue un hobby pour certains, la vape est un outil de sevrage tabagique et de réduction des risques.
Il est important de noter que le fait que les cigarettes électroniques n’ont pas été créées pour les mineurs n’est pas pris en compte par les législateurs et le public en général. Si l’on observe comment Juul Labs a émergé avant de s’acoquiner avec Altria et ses dollars, on peut voir que l’entreprise avait atteint une part de marché écrasante en étant “sans fumée” et indépendante de l’industrie du tabac. Leur succès est basé sur un système novateur de pods et d’arômes différents de celui du tabac, dont il a été scientifiquement prouvé qu’ils aident les fumeurs à se passer de la cigarette.
Les opposants à Juul ont justifié les réponses réglementaires et les interdictions moralistes en avançant que les arômes autres que le tabac sont commercialisés directement auprès des mineurs. Par conséquent, des politiques sont maintenant en place pour limiter les ventes, hausser l’âge légal de consommation, augmenter les taxes pour décourager l’utilisation ou interdire complètement la catégorie combinée des produits.
Une sous-culture en danger
Le contexte général permet de comprendre qu’une grande partie de cette situation est artificielle. La politique et l’argent ont motivé les récentes hystéries dans la vape. Les organismes de lutte contre le tabagisme, les représentants du gouvernement et même certains du secteur privé ont beaucoup à gagner à restreindre et à éliminer des produits du marché.
Les produits qui ne respectent pas la réglementation vont disparaître, tout comme la sous-culture. Et il est tout à fait logique de dire que le mode de vie d’un petit commerçant de vape d’une petite ville est en danger s’il est assimilé à Big Tobacco et qu’il est traité de la même manière.
La plupart des propriétaires de vape shops et des fabricants sont des petites et moyennes entreprises ou des entreprises en démarrage, qui sont chanceux s’ils atteignent la barre du million de dollars de chiffre d’affaires. Si on met de côté les plus grandes marques, l’industrie de la vape est un marché ultra-saturé avec des milliers de produits qui se concurrencent entre eux pour récolter les miettes. C’est un raisonnement dangereux de considérer qu’un magasin de vente au détail d’une petite ville ou un minuscule fabricant d’e-liquides qui compte sur les ventes en ligne est Big Tobacco, qu’il est immoral et qu’il vend des produits aux enfants.
Cela révèle non seulement une mauvaise compréhension de l’industrie et de sa culture, mais cela suggère aussi qu’elle est systémique. Bien qu’une grande partie de ce que j’ai écrit ne soit pas nouveau pour beaucoup d’entre vous, il est toujours utile de comprendre les contextes sociologique et économique à l’origine non seulement du consumérisme, mais aussi des comportements réactifs.